« Nous pensons que nous voyons le monde tel qu’il est, alors qu’en réalité nous le voyons tel que nous sommes. » Bien que cette phrase de Stephen R. Covey paraisse évidente tant les différentes instances de socialisation dans lesquelles nous évoluons depuis notre enfance nous enjoignent de prendre en compte la subjectivité des autres et la nôtre, elle est en réalité plus profonde que ce qu’elle en a l’air. En effet, depuis les mouvements MeToo et Black Lives Matter, nos sociétés occidentales semblent avoir pris la mesure des biais et des inégalités structurantes qui marginalisent les minorités ethniques, de genre, de sexualité etc… Les mœurs ont évolué et certains propos sont devenus totalement inaudibles. Et c’est tant mieux ! Pour autant, cela veut-il dire que nous avons réussi à faire la peau à nos biais inconscients ? Malheureusement, le constant est plus mitigé…
Les biais inconscients: des filtres constants pour voir le monde
En effet, les rapides évolutions sociales qui ont récemment traversé nos sociétés ont bouleversé notre rapport aux autres, et particulièrement aux minorités. Ces évolutions sociales n’ont pas épargné le monde de l’entreprise qui cherche, depuis maintenant plusieurs années, à mettre en place des politiques de recrutement plus inclusives afin de favoriser la diversité. Cependant, aujourd’hui, une personne en recherche d’emploi avec un nom à consonnance étrangère devra soumettre en moyenne 150% plus de CV pour obtenir une première réponse d’un recruteur[1]. 71% des leaders choisissent de favoriser professionnellement des collaborateurs de la même ethnie et du même genre qu’eux[2]. Et les personnes extraverties continuent d’être surreprésentées dans les fonctions de leadership. Pourtant, il est désormais notoire que les entreprises les plus inclusives sont plus susceptibles de surperformer que leurs concurrentes et sont davantage innovantes (les équipes caractérisées par la diversité et l’inclusivité sont 2 fois plus rapides que les autres, elles prennent de meilleures décisions, et se réunissent 2 fois moins souvent pour délibérer[3].) Qu’est-ce qui peut donc bien empêcher les pratiques d’évoluer si les mœurs comme les politiques managériales poussent dans le sens d’une société et d’un monde de l’entreprise plus inclusifs ? L’étude des biais inconscients peut sûrement nous apporter une clé de réponse intéressante et pertinente.
Les biais cognitifs: comment ça marche?
En effet, les biais inconscients, croyances sociales automatiques qui impactent favorablement ou défavorablement notre communication et notre prise de décision, sont souvent pointés du doigt pour expliquer l’incapacité de certains collaborateurs à favoriser un environnement plus inclusif. En réalité, les neurosciences nous expliquent depuis longtemps que notre cerveau se sert constamment de stéréotypes pour fonctionner. Alors qu’il doit traiter 11 millions d’informations chaque seconde, il favorise dès qu’il le peut des circuits neuronaux préexistants pour analyser des situations déjà rencontrées. Ce biais basé sur l’expérience est aujourd’hui analysé et utilisé par de nombreux sociologues pour expliquer les mécanismes de discrimination sociale. Si l’on a grandi dans un milieu social, culturel, et religieux assez homogène, on risque de développer des biais inconscients favorisant les gens qui nous ressemblent et discriminant les minorités que l’on ne connaît pas. Heureusement, les neurosciences ont une bonne nouvelle pour nous : la neuroplasticité nous permet, à tout âge, de reconfigurer nos circuits neuronaux et de sortir de ces schémas réducteurs et limitants !
Utiliser les TAI pour identifier ses propres biais
La première étape pour faire évoluer les mentalités et combattre les biais inconscients est évidemment de conscientiser l’ensemble de ces réponses automatiques qui viennent affecter la prise de décision de manière irrationnelle. Pour ce faire, des tests comme les tests d’associations implicites de l’Université de Harvard, dits TAI, constituent un outil efficace pour identifier ses propres biais. En effet, en testant ses associations automatiques au moyen de jeux de rapidité (on me présente une image et je dois l’associer le plus rapidement possible à un mot), il est possible d’explorer les fondements de sa pensée et ses propres préférences inconscientes. Si j’associe spontanément le mot « déplaisant » au mot « vieux » dans un exercice de rapidité, alors il est probable que mon éducation et ma culture aient petit à petit conforté cet âgisme chez moi. Ainsi, bien que ces tests en ligne gratuits ne permettent pas de définir avec exactitude le niveau de nos préjugés, ils constituent un bon moyen de se rendre compte de ses biais inconscients et de les interroger. Pourquoi ai-je plus de facilité à associer le mot « puissance » au mot « masculin » ? Pourquoi ai-je associé le mot « inutile » au mot « timide » plus de 18 fois lors de cet exercice ?
Finalement, comme mentionné plus haut dans cet article, la clé pour combattre les biais inconscients, c’est la reconstruction et la rationalisation de sa propre identité. Si je sais qui je suis, et quelle est mon histoire, je possède des ressources non négligeables pour identifier les préjugés que je suis susceptible de nourrir inconsciemment. Ce travail n’est pas simple, et il est évidemment impossible de déconstruire tous ses biais en l’espace d’une semaine, mais il est nécessaire et débouchera professionnellement sur des équipes plus empathiques, curieuses, dynamiques et efficaces.
[1] « Pour décrocher un entretien, les candidats aux noms magrébins envoient 1,5 fois plus de CV », Florent Vairet Les Echos Start, 2021.
[2] Franklin Covey
[3] “Disrupt bias, drive value : A new path toward diverse, engaged, and fulfilled talent”, Sylvia Ann Hewlett, Ripa Rashid, Laura Sherbin.
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