Encore confidentiel il y a quelques années, hormis dans une poignée d’entreprises aux valeurs sociales fortes, l’enjeu de diversité et d’inclusion est à présent sous le feu des projecteurs, et au cœur des stratégies RH, et des actions politiques. Même si l’on ne peut que se réjouir de cette prise de conscience collective, et des premiers progrès réalisés, force est de constater que l’approche retenue par les DRH, les politiques et les médias est parfois réduite au genre, et plus précisément à l’enjeu d’égalité professionnelle entre les sexes. Et c’est là l’erreur !

Les entreprises, notamment de moyennes et de grandes tailles, ont développé des formations sur les différentes facettes de la diversité (sexisme, racisme, handicap en tête de liste), et ont créé des pôles Diversité au sein de leurs équipes RH. De nombreuses initiatives ont ainsi vu le jour, ou sont en train de voir le jour : recrutement inclusif, allongement du congé parental…L’accent au départ mis sur la diversité se déporte progressivement vers l’enjeu d’inclusion (vous avez peut-être déjà entendu cette citation résumant si bien les deux notions : la diversité consiste à être invité.e au bal, là où l’inclusion signifie être invité.e à danser). DRH et managers veulent aller plus loin que l’embauche de personnes diverses, en mettant en place des mécanismes rétablissant l’accès égal aux opportunités et en créant une sécurité organisationnelle et culturelle permettant aux collaborateurs d’être eux-mêmes au sein de l’entreprise.

Mais en se lançant dans ce beau – et essentiel !- projet, beaucoup de Leaders et de RH se concentrent encore trop sur l’enjeu d’égalité des genres et notamment des sexes (attention, l’idée n’est pas ici de dire qu’il ne faut pas le faire : on sait qu’être une femme est encore aujourd’hui la première source de discrimination professionnelle, confère le Baromètre de la perception de la discrimination du Défenseur des droits). Loi Copé-Zimmerman en 2011 (instaurant un quota de femmes dans les Conseils d’administration), Index Pénicaud en 2019 (mesurant les inégalités salariales entre hommes et femmes), ou encore Loi Rixain en 2021 (visant à accélérer la participation des femmes à la vie économique) : la plupart des Leaders politiques et économiques Français sont conscients du défaut de représentation des femmes aux postes les plus élevés, et des biais dont elles sont encore parfois victimes. Les entreprises aujourd’hui sont responsabilisées, et adhèrent aux nouvelles normes, grâce à leurs valeurs fondatrices et à leur volonté d’avoir un impact sociétal positif, ou à cause de pressions externes et / ou légales.

Evidemment donc, adresser le sujet de l’inclusion des collaboratrices est clef, mais cela n’est pas pour autant suffisant : pour reprendre l’image précédemment partagée, on cherche aujourd’hui à inviter les femmes à danser dans ce grand bal qu’est la vie économique Française, mais en laissant encore parfois assises des communautés entières, qui pourraient avoir un impact positif fort sur la performance et sur la capacité à innover et à se transformer des entreprises. Pourquoi, par exemple, de nombreuses entreprises mettent-elles encore sous le tapis l’enjeu de l’inclusion des personnes LGBTQIA+ ? Probablement, faute de savoir adresser le problème, faute de savoir qu’il faut l’adresser ou même… faute de savoir qu’il y en a un, sans doute. Il est intéressant de rappeler qu’il existe 25 critères de discrimination dans la loi (ce nombre étant en constante évolution) : origine, apparence physique, identité sexuelle… ces critères coexistant avec la discrimination par le genre.

Revenons au cas de la population LBGTQIA+ : on sait aujourd’hui que pour les personnes LQBTQIA+, il est encore difficile d’être elles-mêmes en entreprise, et les conséquences sont édifiantes : 46% des collaborateurs et collaboratrices concernés craignent de faire leur coming-out en entreprise, et 1/3 sont malheureux au travail (!). Outre un réel enjeu de santé mentale, le fait de craindre d’être discriminé.e à cause de son orientation sexuelle est une barrière claire à la sécurité psychologique nécessaire pour se sentir bien et pour pouvoir libérer sa créativité au travail.

Le diplôme est également un facteur discriminant pas toujours adressé par les entreprises. Prenons ici l’exemple de la French Tech, qui investit fortement la cause de la diversité, notamment via la mise en place du Pacte Parité en mai 2022, signé par 69 startups du FT120 à son lancement.  Or, de nombreuses startups et scale-ups constituant le classement du FT120 recrutent massivement parmi les Grandes Ecoles Françaises, par une logique de réseau assez naturelle (la plupart des fondateurs sont eux-mêmes diplômés de Grandes Ecoles). Bien évidemment, l’école n’est pas un critère de recrutement per sé (en tout cas, pas toujours !) il n’en reste pas moins un certain nombre de biais inconscients et un effet « boule de neige » dû à des pratiques comme la cooptation (qui peut d’ailleurs très bien servir la diversité, si elle est couplée à une stratégie intentionnelle de diversité et d’inclusion). Il est néanmoins important de nuancer ce propos, car de plus en plus d’entreprises du FT120 recrutent en dehors du niveau Master, et se concentrent sur l’expérience et les soft skills plutôt que sur le parcours académique. Et une fois que ce point sera plus largement adressé par les startups, restera un autre critère de discrimination, quasiment vieux comme le monde[roulements de tambour] : l’âge.

Bien sûr, l’âge est un facteur de discrimination bien connu, aux deux extrémités du spectre : seniors mis au banc de l’entreprise, juniors à qui on demande d’attendre pour évoluer, et de se conformer à une structure organisationnelle et managériale en inadéquation avec leurs attentes. L’enjeu multigénérationnel n’est pas dépassé, et il n’est pas une mode selon moi, comme le suggèrent Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois dans leur livre Les RH en 2030. Néanmoins, le concept d’enjeu générationnel doit être clarifié : il ne s’agit pas là d’apposer des stéréotypes sur les gens, sous prétexte qu’ils sont nés en telle ou telle année, mais d’adapter les méthodes de recrutement et de management aux besoins induits par l’âge, et par l’environnement économique, social et politique dans lequel l’individu a grandi, tout en reconnaissant et adressant les besoins universels, tels que la reconnaissance. Il est central aujourd’hui d’éveiller les managers aux besoins des nouvelles générations, et aux techniques et initiatives favorisant la coopération intergénérationnelle, comme le classique Mentorat – Mentorat inversé. Il serait également intéressant à contrario de sensibiliser certains managers, notamment ceux de la génération Y, aux bénéfices de la collaboration entre les générations (comme je le mentionnais précédemment, on ne peut pas dire que les seniors soient légion en startup, sauf à considérer qu’on devient senior une fois le cap des 30 ans franchi !).

Je pourrais continuer la liste des critères de discrimination encore un moment (voire potentiellement en écrire un livre) : saviez-vous par exemple que l’apparence physique est le 3ème critère de discrimination le plus fréquent, après le genre et l’âge (source : le Défenseur des droits)? Poids, style vestimentaire, tatouages… autant d’éléments pouvant être retenus contre le collaborateur ou la collaboratrice (dur-dur d’être soi-même au travail si on doit perpétuellement travestir son apparence ou craindre le regard de ses collègues, si vous voulez mon avis).  

Enfin, il est important de mentionner que des facettes de la diversité pourtant connues, sont encore peu ou mal exploitées dans les politiques D&I des entreprises : origine, religion, handicap… Je suis personnellement effarée par le nombre d’entreprises préférant payer une amende à l’Etat plutôt que de respecter la loi, à savoir avoir au moins 6% de personnes en situation de handicap au sein des effectifs de plus de 20 personnes. Pour ceux qui se demandent, les personnes en situation de handicap représentent 3,6% des effectifs du secteur privé, et 4,9% dans le public. Espérons que ces pourcentages augmentent, sachant que le nombre d’étudiants en situation de handicap s’accroit fortement depuis une dizaine d’années (x3,6 sur la décennie passée). Il reste en tout cas une marge de progrès à de nombreuses entreprises : accessibilité des offres d’emploi en ligne aux personnes en situation de handicap (par exemple malvoyantes), grâce notamment aux standards W3C, adaptation des Assessment centers et autres méthodes d’évaluation à la neurodiversité (dyslexie, autisme…)…

Pour conclure ma réflexion, et continuer mon rapport d’étonnement, je souhaite justement parler un peu plus en détail de la neurodiversité. Je travaille régulièrement le sujet de la neurodiversité dans le cadre de mes formations et de mes conférences, et je tire mon chapeau aux entreprises, et notamment aux startups, qui adressent déjà le sujet, là où de nombreuses entreprises maintiennent une culture et une organisation peu voire pas adaptées à des profils HPI, DYS, autistes d’Asperger, ou encore hypersensibles. Ce n’est pourtant pas un problème de médiatisation, confère la popularité des tests plus ou moins bateaux dans les magazines, du type « Êtes-vous un ou une hypersensible qui s’ignore ? » (pour information, le seul test officiel servant à diagnostiquer l’hypersensibilité est le test d’Elaine Aron, qui a inventé le concept d’hypersensibilité). Ici aussi, comme pour le genre ou l’origine, la sensibilisation des collaborateurs, la formation des managers, un soutien et un accompagnement des collaborateurs concernés permettraient de faire un pas en avant. Non, le meilleur commercial de la boîte n’est pas forcément l’extraverti.e à l’esprit de compétition surdéveloppé, qui parle plus fort que tout le monde en réunion.

Je ne cherche bien sûr pas à démoraliser -ou à moraliser tout court d’ailleurs ! L’effort fait par les entreprises pour un monde professionnel plus juste et plus équitable n’en est qu’à son début, et l’on sait que l’évolution des normes professionnelles va continuer au profit des minorités, et des femmes. Il me semble simplement qu’en mettant tant en avant le combat pour l’égalité des sexes, les Leaders et les DRH occultent d’autres enjeux clefs liés à l’inclusion, et omettent l’intersectionnalité du combat pour la diversité (à savoir, que les critères de discrimination ne sont pas forcément additifs, mais tendent à interagir de manière complexe, ce qui rend nécessaire d’adresser toutes les minorités, et le problème de genre, de front, et non successivement, pour que la démarche entreprise soit efficace). Gardons donc en vue que l’inclusion, c’est avant tout la mise en place d’un environnement de travail favorisant la sécurité psychologique, la confiance, l’écoute et le respect, de tous, pour tous et par tous.