J’ai vu – et adoré !- le Ted Talk de Sheryl Sandberg il y a quelques années. Sur les conseils de plusieurs amies, j’ai également lu son livre, Lean in (« En avant toutes » dans sa version Française). Etant donné son dynamisme, et l’exemplarité de sa réussite (au moins jusqu’au scandale de Cambridge Analytica), j’ai adhéré rapidement à son leitmotiv. En avant ! Mesdames, affirmons-nous, asseyons-nous à la table, et nous réussirons. Sur le papier, ça a l’air top. Mais qu’en est-il de la réalité ? Soyons honnêtes, elle est plus nuancée…

Sortir du classique: « Affirmez-vous, et prenez votre place de Leaders, Mesdames ».

Je vois en effet trois raisons pour sortir du principe : « Femmes, affirmez-vous, et le succès viendra à vous ».

La première raison est que derrière le mantra de Sheryl Sandberg se cache une injonction culpabilisante pour les femmes. Celle qu’en s’affirmant, en arrêtant d’être trop « 1ère de classe », et en sortant du syndrome de l’imposteur, les postes de Leadership s’ouvriront forcément à nous. Or, cette idée fait reposer trop de responsabilité sur les épaules des femmes. S’affirmer, ou sortir de ses croyances limitantes, ne se fait pas en claquant des doigts. Certaines collaboratrices auront besoin d’aide (coaching, formation…). Il est donc essentiel de sortir de la logique d’auto-détermination, pour tendre une main aux femmes dans le monde du travail. Pas une main paternaliste ou compatissante, mais une main « intelligente ». Quid des ateliers de co-développement, du mentorat, ou encore de sessions de coaching en amont des entretiens d’embauche, si on remonte à la genèse de la vie d’une collaboratrice en entreprise ?

La question de l’affirmation… l’arbre qui cache la forêt?

Bon, et parlons des femmes qui s’affirment, avec ou sans difficulté d’ailleurs. Celles qui comme dit Sheryl, sont promises à des postes de leaders, pour sûr. Et bien on découvre alors que l’injonction de Sheryl en plus d’être culpabilisante se révèle … fausse. Car une femme qui s’affirme n’est pas propulsée leader, elle est le plus souvent critiquée, mal-aimée voire sabotée. Exagérations, me direz-vous ? Voici quelques chiffres éclairant ma réponse :

  • Selon un sondage de McKinsey & Company, 66% des collaboratrices recevraient des commentaires négatifs sur leur personnalité dans les feedbacks réalisés dans le cadre des évaluations de performance. (Contre 1% des collaborateurs. Oui, vous avez bien lu. UN POUR CENT).
  • Selon Stanford, seuls 40% des feedbacks faits à des collaboratrices incluent des données business, contre 60% pour les collaborateurs

Le vrai hic ne réside donc pas dans la difficulté des femmes à s’affirmer, mais dans la difficulté de la société à reconnaître les barrières systémiques, basées sur des biais de genre, et fortement ancrées dans les pratiques et les normes de l’entreprise. Je vous invite à regarder le Ted Talk « The Likeability Dilemma », si vous ne l’avez pas vu. Cette conférence illustre très bien comment une femme qui veut devenir leader va rapidement devoir choisir entre être respectée, et être aimée. « Quoi, on n’aime pas les femmes qui s’affirment ? ». Evidemment, la réalité est beaucoup plus complexe et nuancée que cela.

Le poids des barrières systémiques

Qu’est-ce qui explique donc qu’on préfère les hommes qui s’affirment aux femmes qu le font ? Les normes de genre, pardi ! En effet, loin d’avoir éradiqué le sexisme, les entreprises continuent souvent de faire vivre un sexisme ambivalent. C’est un sexisme qui entraîne le maintien de codes considérés comme masculins ou féminins dans l’entreprise. Ainsi, l’assertivité serait une caractéristique masculine. Une femme qui s’affirme sera donc plus souvent vue comme abrasive ou agressive, que comme assertive, à la différence d’un homme. (Une clef de compréhension du choix des femmes Leaders entre être appréciées ou respectées…). En revanche, la collaboration et l’empathie sont vues comme des caractéristiques féminines. On dira encore souvent pour évaluer la performance d’une femme qu’elle est un élément fédérateur au sein de l’équipe. Vous comprenez probablement mieux pourquoi 66% des femmes récoltent des feedbacks négatifs sur leur personnalité, feedbacks au demeurant vagues dans 57% des cas (autre étude de Stanford), car concentrés sur un nombre restreint de soft skills « maternelles », ou « féminisantes ».

Des biais de genre toujours tenaces.

Autant vous dire que l’expression des biais dans les feedbacks sur la performance des collaboratrices influencent les revues de performance, les promotions, ou encore les augmentations de salaire. Ce sont ces biais systémiques qu’il faut adresser en priorité. Attention, je ne nie pas qu’il est plus difficile pour les femmes de s’affirmer, en général. Une étude du BCG montre qu’à performance égale, les femmes s’évaluent 25% moins bien que leurs équivalents masculins. Un autre biais à prendre en compte quand on lit les auto-évaluations des membres de son équipe, c’est sûr.

Mais il me semble que ce problème ne doit pas occulter le fait qu’aujourd’hui, dans nos entreprises, on tend encore à penser que les hommes sont plus performants que les femmes. Cela conduit à évaluer les collaboratrices sur leurs réussites passées pour leur attribuer de nouveaux projets – là où l’on considère le potentiel des collaborateurs pour les positionner. Je tiens à préciser que ces biais sont agnostiques du genre. Les femmes attribuent plus de compétences aux hommes en général, elles aussi. Booster la solidarité féminine, au-delà des clichés auxquels on la réduit parfois, est aussi central que de booster l’estime individuel des collaboratrices.

Biais de genre, un Leadership encore « codé » au masculin, des barrières systémiques qui perdurent… On jette l’éponge du coup ?

Proposer des alternatives au célèbre « Lean In ».

Evidemment non ! Loin d’être exhaustive, cette liste propose quelques idées et initiatives pour favoriser le Leadership au féminin, peu importe son genre de naissance ou choisi.

  • Sortir des injonctions culpabilisantes ! C’est comme demander à un ou une grande timide de faire le show sur scène sans préparation… Ca bloque. Arrêtons de répéter aux femmes qu’elles sont victimes du syndrome de l’imposteur à longueur de journée. Concentrons-nous d’abord sur les causes externes. Si la représentation la plus courante du Leader n’était pas un homme blanc hétérosexuel, beaucoup de femmes et de personnes issues de la diversité s’affirmeraient bien davantage !
  • Responsabiliser et former les collaborateurs et les collaboratrices, ainsi que les leaders de l’entreprise. Il faut agir pour la diversité à tous les niveaux de l’entreprise. Ce n’est pas moi qui le dit, mais l’Alliance mondiale pour la parité, dans son tout dernier rapport porté par le Forum économique mondial et par McKinsey. Démocratisons le concept d’alliés auprès de toutes les populations, afin d’amplifier les voix au sein de l’entreprise qui seraient peu ou pas écoutées. Expliquons comment mettre en place des environnements de travail psychologiquement sûrs, où chacun peut être soi-même, et exprimer son opinion. Il est donc stratégique de faire monter en compétence les managers, pour faciliter l’installation de cultures de travail inclusives – et de confronter les dirigeants à des objectifs clairs et ambitieux, dont ils sont responsables.
  • Prendre en compte l’intersectionnalité dans les enjeux d’inclusion. Késako ? L’intersectionnalité consiste à appréhender de front les différentes dimensions de la diversité, plutôt que de les traiter séparément. Cela permet de refléter au mieux la réalité des situations. Car oui, parler des collaboratrices est trop réducteur. Quid des collaboratrices de couleur, des collaboratrices en situation de handicap, des collaboratrices appartenant à la communauté LGBTQIA+ ? Le genre est une dimension de la diversité, mais est trop limitant pour être un cadre pérenne de réflexion sur les enjeux D&I
  • Et bien sûr, casser les codes préétablis ! La collaboration, l’empathie, l’ambition, ou encore la compétition ne sont pas l’apanage d’un genre. Changer les normes au sein de l’entreprise aideront probablement à changer les normes dans la société.

Ne vous y trompez pas, j’admire beaucoup Sheryl Sandberg. Mais je ne peux pas former aux biais de genre et au sexisme ordinaire sans reconnaître les limites de son approche. Affirmons la valeur des singularités et le respect des différences, plutôt que de rechercher l’auto affirmation des femmes dans l’entreprise à tout prix. Et, bien sûr, valorisons les femmes qui s’affirment, celles qui occupent des postes de Leadership – et toutes celles qui font le choix de mettre leurs priorités ailleurs.